Peut-on parler d'allergie à l'iode?
Êtes-vous allergique à l’iode?
Tout le monde ingère de l’iode dans sa diète, ne serait-ce que le sel iodé consommé. L’iode est un élément essentiel à la vie, et sert principalement à la fabrication des hormones thyroïdiennes. Un manque d’iode engendre la formation d’un goître et peut entrainer une hypothyroïdie.
Alors pourquoi parle-t-on d’allergie à l’iode? ? Le plus souvent par ignorance ou pour simplifier les choses : c’est plus facile de demander si vous êtes allergique à l’iode que de demander si vous avez déjà présenté une réaction adverse à un produit de contraste radiologique iodé (PCRi). Particulièrement en radiologie on se fait demander si on est allergique à l’iode ou aux fruits de mer. Qu’en est-il vraiment?
Produits de contraste radiologiques iodés (PCRi)
Les PCRi sont des molécules contenant plusieurs atomes de carbone, et aussi de l’oxygène, de l’hydrogène, de l’azote, et en général de 3 à parfois 6 atomes d’iode. Le contenu en carbone de ces molécules est beaucoup plus important que le contenu en iode, alors pourquoi ne parle-t-on pas d’allergie au carbone? On ne doit plus utiliser la dénomination “ allergie à l’iode ” mais plutôt celle “ d’allergie ou d’hypersensibilité aux PCRi ”. L’atome d’iode contenue dans la molécule de PCRi n’est pas plus responsable de la réaction que l’atome de carbone : c’est la molécule au complet qui en est responsable.
Réactions immédiates aux PCRi
Les réactions immédiates (urticaire/asthme/anaphylaxie) aux PCRi surviennent chez environ 2% des patients recevant un PCRi ionique (premières molécules fabriquées), et chez environ 0.5% des patients recevant les molécules non ioniques (de fabrication plus récente). Des réactions anaphylactiques très sévères surviennent chez environ 0.2% des patients recevant un PCRi ionique, et chez 0.04% de ceux recevant un PCRi non ionique. Cependant, les décès dus à ces produits sont de l’ordre de 1 à 2 pour 100,000 procédures, et ce tant avec les produits ioniques que non ioniques.
Il existe plusieurs molécules de PCRi non ionique sur le marché, dont voici quelques exemples : iopidamol (Isovue), iohexol (Omnipaque), ioversol (Optiray), iopromide (Ultravist), et iodixanol (Visipaque).
Les facteurs de risques associés à ces réactions sont : le sexe féminin, l’asthme (surtout si mal contrôlé au moment du test), et une histoire de réaction préalable à un PCRi. La prise de médication bêta-bloquante ou la présence de pathologie cardiaque ne sont pas associées à un risque accru de réaction, mais à un risque de réaction plus sévère. Une allergie aux fruits de mer n’est pas associée à un risque accru de réaction aux PCRi, et vice-versa.
Le mécanisme de ces réactions est le plus souvent du à un effet direct de la molécule de PCRi (et non pas des atomes d’iode) sur les mastocytes (cellules impliquées dans la réponse allergique) entraînant leur dégranulation (libération de diverses substances dont l’histamine qui cause la réaction allergique) : on parle souvent de pseudo-allergie. Toutefois, en Europe, de récentes études ont démontré qu’un grand nombre de patients ayant présenté de telles réactions avaient des tests cutanés d’allergie positifs au PCRi en question, suggérant un réel mécanisme allergique médié par des anticorps allergiques soit les IgE (on dit « IgE-médié »).
Conduite à tenir chez un patient nécessitant l’utilisation d’un PCRi et ayant y déjà présenté une réaction adverse immédiate:
Lorsqu’un patient nécessite l’utilisation d’un PCRi et qu’il a déjà présenté une réaction antérieure, l’approche est la suivante :
- Obtenir si possible une description de la réaction antérieure.
- Vérifier si la radiographie est essentielle.
- Expliquer les risques au patient.
- Assurer une hydratation adéquate.
- Utiliser un PCRi non-ionique et iso-osmolaire, particulièrement chez les patients à plus haut risque (asthmatique, patient sous bêta-bloqueur, patient avec pathologie cardiaque). On devrait utiliser un PCRi différent de celui utilisé antérieurement.
- Utiliser un pré-traitement à base de cortisone et d’anti-histaminique : ce prétraitement est efficace pour prévenir la majorité des réactions, mais il est moins efficace pour prévenir la récidive de réactions très sévères.
- Il faut toujours être prêt à traiter une éventuelle réaction d’hypersensibilité lorsqu’on utilise un PCRi.
Réactions retardées aux PCRi
Environ 2% des patients recevant un PCRi vont présenter une réaction retardée, survenant de 1 heure à une semaine après avoir reçu le PCRi : il s’agit le plus souvent d’une éruption cutanée (médié par des globules blancs : les lymphocytes) d’intensité légère à modérée, et évoluant sur quelques jours. Plus rarement il peut s’agir d’un rash très sévère, voire d’un SCAR (severe cutaneous adverse reaction).
Conduite à tenir chez un patient nécessitant l’utilisation d’un PCRi et ayant y déjà présenté une réaction adverse retardée:
Lorsqu’un patient nécessite l’utilisation d’un PCRi et qu’il a déjà présenté une réaction retardée antérieure, on peut utiliser l’approche suivante :
- Pour une réaction telle un rash maculo-papuleux léger à modéré, il faut bien évaluer le risque/bénéfice avant de procéder. Il faut aussi utiliser un PCRi différent de celui utilisé lors de la réaction antérieure : si une évaluation allergique déjà a été faite, il faut utiliser un PCRi qui a testé négatif à la lecture tardive. Un suivi clinique (pouvant inclure tes tests sanguins) est alors important pour traiter une éventuelle réaction retardée.
- Pour une réaction sévère (SCAR : telle un DRESS (Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms), un Stevens-Johnson/TEN (Toxic Epidermcal Necrolysis), un AGEP (Acute Generalized Exanthematous Pustulosis), une vasculite), il faut éviter l’utilisation d’un PCRi : ces réactions constituent une contre-indication quasi absolue à réutiliser un PCRi.
Approche recommandée suite à une réaction à un PCRi
Un changement global de l’approche pour les réactions adverses aux PCRi devrait être envisagé sérieusement.
Étant donné la fréquence et parfois la sévérité de ces réactions, et l’effet incertain et controversé de la prémédication prednisone/anti-histaminique, nous recommandons :
- Que le nom exact du PCRi utilisé (Isovue, Optiray, Omnipaque, Visipaque, autre) soit inscrit dans le rapport de radiologie, de même que la description de la réaction et du traitement donné lorsqu’une telle réaction survient.
- Que les patients ayant présenté une réaction adverse modérée à sévère soient référés en allergie pour évaluation, si possible de 1 à 6 mois après la réaction.
- Qu’un bref rapport de la réaction soit remis au patient lors de son départ de la radiologie, incluant le nom du produit utilisé, une brève description de la réaction et du traitement donné. Un rapport d’une réaction à un PCRi ne consiste pas à mentionner que le patient a fait une “réaction à l’iode”.
Autres produits iodés
Fruits de mer
L’allergie aux fruits de mer est aussi un problème relativement fréquent, mais n’est pas associée à une incidence accrue de réactions aux PCRi : il s’agit d’une réaction allergique IgE-médiée à une protéine du fruit de mer, et encore une fois l’atome d’iode n’y joue aucun rôle.
Etant donné l’incidence relativement élevée des réactions immédiates aux PCR et de l’allergie aux fruits de mer, il peut arriver qu’un patient présente les deux problèmes à la fois, mais il s’agit alors de deux problèmes différents.
Savons iodés (Povidone, Betadine, Dovadine)
Les réactions aux savons iodés sont très rares : il s’agit d’une réaction retardée (médiée par les lymphocytes) à la molécule de proviodone, et non pas à l’atome d’iode.
Références:
Sanchez-Borges M, Aberer W et al. Controversies in drug allergy: Radiographic contrast media. J Allergy Clin Immunol Pract 2019;7:61-65
Torres MJ, Trautmann A et al. Practice parameters for diagnosing and managing iodinated contrast media hypersensitivity. Allergy. 2021;76:1325-1339
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André Caron, MD FRCPC
Mise à jour 11/2024